LĠŽchappŽe

 

 

1

ta marche est politique

dans lĠordre obligŽ du monde tu avances
vent debout

 

aux sensations bleues des nuits
je tĠaccompagne parfois
tu marches tu ne dors presque plus

au toucher des arbres cĠest peu de temps

une vision brve de lĠŽternitŽ o tu souffres
loin du rŽel loin

des trahisons dŽsormais

les murs de ta ville ou
lĠidŽe dĠune ville en toi
dĠune enceinte dans le plein soleil de lĠadret

cĠest une trahison aussi mme lumineuse

 

et depuis, ton exil sĠŽloigne de ta plus belle errance

 

 

2

Ta marche est cette rŽvolte claire
qui te porte

la rŽsonance calcaire et le marbre bleu
des grottes se referment derrire toi
nous pouvons ˆ peine te suivre

la combe aux parois abruptes est un meurtrier

 

ton attention se gorge aux ŽchappŽes du lendemain
aux brches ouvertes dans le quotidien

des caches ˆ c™tŽ de la mouvance incessante des eaux

des secondes prŽcieuses
seules sans nous

lĠexpŽrience au risque des gestes improvisŽs

lĠexpŽrience ŽprouvŽe du chemin
son battement
dans tes bras

tout cela cĠest notre dŽraison amoureuse

 

vous avancez portant un navire sur votre dos
au milieu de la fort

plus lŽgers quĠune volŽe de feuilles

 

 

3

Tu marches et les couleurs libres du jour sĠeffacent

tu gardes le souvenir de lĠeau
peut-tre

celui du vent aussi

le sable sous tes pas conserve des traces obstinŽes
p‰les histoires

sŽparŽes en saisons

mais dŽjˆ la mer

 

ton ‰ge devance mes plus maigres rves

sous les murs pourris dĠune ville
je place les pices sur le jeu
adossŽ ˆ la chaleur du jour

ton corps plonge toutes les nuits

 

 

4

dans la touffeur de notre Žpuisement
regarde

des hommes tombent

des hommes se noient

se relvent en essuyant leurs mains sur leur chemise

le sable dans la bouche est croquant
le vertige profond

 

 

5

au plus tard demain

ta marche sera solidaire des oiseaux

au plus loin des vacances bruissant dans lĠhiver
tu remonteras vers le Nord

 

b‰tir des lieux dŽjˆ sauvages

dans ton esprit dŽjˆ effacŽs
des lieux pareils coude ˆ coude

b‰tir des maisons habitŽes dĠor de cŽramique volŽe

et fabriquer des plats o manger des coupes
o boire

et laver nos corps nos cheveux

nos doigts
nos vtements

cĠest peu au primitif de notre vie

 

nous nous aventurerons dans la mort

 

et le sentier oublieux et  inŽgal sĠenfoncera dans la terre
sourde

ˆ nos noms

engloutissant le navire avec nous

 

 

6

ta marche est inutile

remplacŽe par des ‰ges fŽconds
des forts abondantes
luxuriantes
au front lourd

 

le navire a ŽtŽ abandonnŽ oubliŽ
depuis dix sicles

ton dos meurtri en porte encore la mŽlodie

 

un Žtranger tĠaccompagnait
maigre essoufflŽ
amoureux

il sĠest Žvanoui tu te souviens?

plus de force pour marcher

tu as recueilli un peu dĠeau de sa gourde
dans ta main

 

 

7

tu nĠes plus ce nomade

 

ta fugue est si vieille maintenant
tellement ancienne dŽjˆ

tu es une lumineuse ŽpopŽe au prŽnom compliquŽ
chargŽ de significations Žtrangres

et tu es si douce au vacarme de nos lvres

 

je ne peux tre cet observateur

mon bras sous le tien

mes paumes rches sĠaccrochant au velours de tes doigts
tu marches sans nous

tu traverses la montagne un navire sur ton dos

une solitude essentielle te fabriquant
dĠautres identitŽs claires

 

tu parles de notre bienveillance
sans cesse
tu rŽptes les mmes mots

et les mmes jours froids sĠallongent sous nos pas

 

 

France Mongeau

LĠŽchappŽe dans Ç ƒloge de la marche È. MontrŽal : Moebius, no 116, 2008