ƒtude : Le fou aux fleurs[i]

 

Les mots ne sont jamais fous [...], cĠest la syntaxe qui est folle.

Roland Barthes

Fragments dĠun discours amoureux

 

 

Les gestes se dŽploient dans les verbes humains

lieux o la mort engendre

sa rupture

son monstre

ses ravissements

la gorge dans laquelle se dŽclame le parfait amour

            est [exil]

 

nos souffles poursuivent des joies volŽes

Žtinclent encore

o les ombres par millier bruissent

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[lĠexil bržlant lĠexil sa signifiance la marche harassante porte le fou aux fleurs vers lĠintention du soleil et ses topiques vides non codŽes lieux tissŽs de dŽsirs o la gr‰ce na”t contre le corps humide du temps.]

 

 

 

 

Le corps impatience de langages nombreux

sa nature animale

feuilletŽ de sens

ce sont nos mains toujours en vie

nos ventres nus

lˆ o respirent les ancolies

            perplexes

volontairement blessŽes dans ce don

nos paumes purgŽes [de mŽmoires]

 

le fou aux fleurs songe ˆ un bras contre le sien

            une pensŽe de soie

une exigence dĠaccueil o il se tient

dans lĠaube minŽrale

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[la chaleur imaginŽe en dĠinnombrables gorgŽes boire ˆ sa bouche retarder le sel aigu de la jouissance demeurer dans le mot attendre et dans le mot consentir.]

 

 

 

 

Nous souhaitons atteindre le lieu idŽal

le renoncement

notre faim est cette eau entre nos muscles

dĠhommes fous de femmes folles

les mmes secondes rythment les mmes phrases

            simples

            complexes

            gorgŽes [de sang]

 

un destin maigre nous consume

depuis les annŽes de syntaxe parfaite

sans les heurts recommencŽs

sans les malheurs ŽcartelŽs du sicle

loin de toute rŽvolte

dans notre faillite blanche

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[un vtement trempŽ dans lĠeau froide se colore du sang de notre raison rŽpertoriŽes dans les laboratoires enfouis de notre monde sous scellŽs les formules toutes faites rappellent les heures perdues de lĠamour et de la violence.]

 

 

 

 

Rien qui nous fasse clichŽ

            dans cet amour

            dans cet objet dĠun amour

dans cette idŽe dĠun amour

qui nous mne ˆ la rŽflexion

            nous noie ou nous dŽcrive

rien sinon nos os de mme espce vive

 

cet abandon est le n™tre consenti

nous sommes des images

de la guerre lointaine

[ou de la fatalitŽ]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[plongeant des serres meurtrires dans les veines des phrases croisŽes emmaillŽes ˆ cette vŽritable fortune des eaux de la bouche au parfum dans lĠaube que le fou aux fleurs maudit de son poing levŽ.]

 

 

 

Des aveux se multiplient et disparaissent

dans lĠimmŽdiat de leur ŽnoncŽ

 

le fou aux fleurs cherche toujours

isolŽ du monde

exposŽ aux dangers

sa marche fabrique [une nŽcessitŽ]

le dŽdale des sentiers de la montagne

 

dŽsormais nous vivons furieux

            dans la souffrance de la perte

dans lĠurgence sans lumire

dŽtournŽs du pluriel

solitude que nous volons ˆ la beautŽ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[les yeux rivŽs au sol en qute dĠune autre fleur fleur qui rejoint ses passions quĠon aime dŽmentes fleur ˆ peine Žclose pour dire le temps qui reste la folie qui lĠabreuve et sĠŽvanouit avant les mots tournoyant dans sa tte.]

 

 

 

Les confidences sont des fleurs foudroyŽes

tels nous resterons

            la nuque frle

            accordŽs aux regards

            peu de ce fauve inventŽ dans le dŽsir

           

le poids de lĠabandon

sa force dĠinertie sa gravitŽ

et sa conscience claire

nous osons les poignets fils tŽnus entre nos intentions

            nulle [voluptŽ]

            nulle fade paresse

lĠexact geste o nous nous tenons

nĠappartient ˆ aucune grammaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[lĠorgueil ne peut survivre au rŽel de lĠamour le fou aux fleurs ne calcule rien prisonnier de sa dŽraison il ne cesse de regarder autour de lui dans le lichen de la terre avouŽe de son amour.]

 

 

 

Les sens persistent en dĠŽternelles ancolies

dans ce mouvement incessant

un brŽviaire o des dieux marchandent

            sans nous

sans notre dŽmesure

            ou nos verbes [aimŽs]

 

chaque jour

chaque jour rŽpŽtŽ

nous sauvons le fou aux fleurs

un livre dĠŽternitŽs que notre parole rŽvle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[le fou aux fleurs ne voit ni la mort ni lĠimpatience des fleurs ce nĠest pas une possibilitŽ dans son jargon amoureux il avance en un consentement fabriquŽ de verbes ˆ lĠinfinitif qui ne peuvent sĠŽpuiser : accueillir, appartenir, attendre, boire, consentir, craindre, croire, demeurer, espŽrer, exulter, ignorer, inventer, parier, penser, prendre, rŽpŽter, sentir, tendre ou mourir dans le dŽsordre alphabŽtique du monde.]

 



[i] Le fou aux fleurs est un personnage qui appara”t dans Les souffrances du jeune Werther, de Goethe, et que Roland Barthes Žvoque dans Fragments dĠun discours amoureux.

 

 

France Mongeau

Le fou aux fleurs dans Ç Topologies amoureuses È. MontrŽal : Estuaire, no 162, 2015