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Trois pomes pour le vingtime anniversaire de la revue Exit

 

 

IntŽrieur nuit

 

Il commence toujours avec des noms Žtrangers

et des lieux Žtrangers : le dŽsert de Gobi

le lac Ba•kal mers intŽrieures rŽserves

dĠeau douce dĠarbres

il Žcrit jusquĠau bord de la vraisemblance

jamais au-delˆ de la vraisemblance

un pan de rideau ouvre une fentre

 

il pourrait se pencher et voir

le travail sur le chantier des hommes

des outils entendre leur conversation

 

il Žcrit jusquĠˆ lĠaube le drame ce vide hurlant

dans lequel tombe une petite fille

et un grand cerf

il renonce ˆ certaines phrases

cĠest trop loin inventŽ trop parfumŽ

pour dire une simple chose

 

il songe ˆ proposer le rŽel avec ses personnages

mais cela ne le mne nulle part

il prŽfre les amants leurs gestes

amoureux jusquĠau dŽsordre des baisers

jusquĠˆ lĠabandon

il vacille.

 

 

Le chantier

 

Il enfile les gants de travail

le cuir sĠassouplira lentement

avec sa propre chair avec la chaleur

de ses doigts

il lve la tte sur le chantier

 

dĠautres hommes des bruits sĠaccumulent

en un faisceau

autour de lui dans lĠespace du monde o il se trouve

avant de prendre ses outils

il sait quĠil devra soulever les contreplaquŽs

quĠil a mal aux reins

son corps lĠŽclaboussera des aiguilles de la douleur

il sait aussi quĠil a besoin de cette douleur

 

un ouvrier travaille avec lui

il est vigoureux il parle ne cesse de parler

de sa femme de ses enfants des cauchemars de la fillette

ses hurlements dans la nuit

a sort en un torrent de sa bouche

il se confie dit tout tu vois a me rend un peu nerveux

 

puis il se tait retient ses gestes brusques

assombri par sa rudesse

il est dŽsolŽ parce quĠil comprend

son vieux compagnon cette faon

de se pencher de prendre les matŽriaux

il voit cela

cĠest encore lĠaube

dans cet instant prŽcis
se logerait la possibilitŽ de formuler un rve de tout dire

ce que le cÏur porte de courage

dans le travail ˆ venir ils sont presque heureux

ˆ construire une conversation

 

ils attendent un geste ou deux ce silence

ils ne changent pas le nombre de pas

qui les mneront

c™te ˆ c™te jusquĠau gouffre vide.

 

 

Le grand cerf

 

Ils attendent ils parlent dans le silence du bas-c™tŽ

du matin

tout les attacherait au prŽsent

ce sont des enfants qui attendent lĠautobus scolaire

 

elle riait dĠabord pointait le ciel

comptait les feuilles tombŽes sur le sol

elle aperoit la voiture

cĠest un oiseau

pourrait-elle dire la voiture roule trop vite

puis le cerf surgit magnifique

puis la main de son frre sur son Žpaule

 

puis le fracas le corps tombe son impuissance

la lenteur est lŽgre

cĠest une simple chose qui empcherait de sombrer

elle hurle comme hurlent les petites filles terrorisŽes

 

et cĠest interminable ce hurlement cette chute

qui dure toute la nuit

le frre ramasse le cahier

tombŽ dans la poussire le gožter un fruit

trs rouge roule vers lĠanimal

 

le grand cerf est seul avec les enfants

qui le voient mourir

il tient sa tte droite il me regarde dit la petite fille

ne regarde pas dit son frre

elle regarderait pourtant verrait le sang

des morceaux de chairs sortent du ventre

elle ne saisit pas cette image

mais reconnait la puissante musculature du cou

la tte Žnorme qui oscille

sur la fiertŽ du corps

 

les bois lourds

le poids surhumain des bois dans la puissance du cou

elle hurle encore puis

elle se calme rŽpŽtera les mots apparus

dans sa tte persistera aussi le regard

jamais jamais elle nĠoubliera

jamais le regard de lĠanimal ma”tre

dans la fin du monde.

 

 

France Mongeau

Maquettes. MontrŽal : Exit no 80, 2015