Carnets et neiges

 

Paul BŽlanger et France Mongeau

 

 

Pendant lՎcriture des carnets qui suivent, PB Žcrivait aussi Replis[i]. Un homme mesure le territoire infini de sa pensŽe, cÕest ma comprŽhension. Parfois avec son corps. Parfois avec une seule phrase superbe – arpenteur du silence et de la beautŽ. Je lÕaccompagne ici, quelques annŽes plus tard, de petits pomes enneigŽs. PB travaillait-il dŽjˆ ˆ Des amours[ii] ?  FM

 


 

Le plus quÕincertain[iii]

Paul BŽlanger

 

Neiges

France Mongeau

 

 

 

 

Impasse : une folie, une fivre nous gagne et tout devient un prŽcipitŽ dÕangoisse. Il vaut mieux, ds lors, se retirer et courir dehors pour respirer, si cela est possible.

 

Impasse : pari dÕune vie vouŽe ˆ lՎchec, ˆ son Žchec et ˆ son dŽsespoir dÕun sens, dÕune issue dans lÕespace, tel quՎcrire ressemble ˆ une fuite en avant.

 

Regagner son calme est ardu, de mme rester immobile.

 

Finit-on par sÕaliŽner sa propre vie, ce qui serait lÕenvers dÕun enracinement, un enfermement, un isolement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CÕest ici mme

le jour qui recommence.

Avec la peur effarante

de ne pouvoir rentrer

chez soi. Veines gelŽes.

Toute clŽ perdue.

 

Chaque mot recompose

lՎchec

et la naissance.

Dans une sorte de fuite

complexe.

 


 

Le doute met le pome en chemin, Žbranle lՎcriture vers un langage libre – si jamais langage est libre, en tout cas parole souveraine. Souhaite-t-on autonome ˆ tout le moins, dŽbarrassŽ de ma vie.

 

Un ange passe-t-il quÕil laisse un vide conducteur.

 

JÕessaie dՎclairer tout a, non pas voir mieux mais me consacrer ˆ une direction, quelle quÕelle soit.

 

Me voilˆ plus loin de moi que la rive adverse, alors que, tout de mme, quelque chose sÕest pacifiŽ malgrŽ lÕinquiŽtude qui demeure.

 

Le fleuve coule comme hors du temps naturel. Je suis, o le pome est gardien de lÕespace. Alors que je lve les yeux vers le ciel, la Grande Ourse veille.

 

 

 

 

 

 

 

Il Žcrira ailleurs que

dans cette libertŽ

lumineuse

(parce quÕun lac bleu

parce quÕun oiseau

traversant la ruelle

dans le mŽtal

de sa joie),

il reconna”trait

parmi les rires

enchevtrŽs

un seul rire

avec sa beautŽ.

 

 

Or je tombe

et au bout de ma chute

des os.

 


 

On parle peu du lien organique entre pensŽe et poŽsie. LÕimage-pensŽe est toujours ˆ lÕĪuvre dans le pome. Elle se trouve dans toute manifestation du langage, non comme concept mais comme partie de la vision. Il y a toujours un discours de lÕimage qui relie mot et pensŽe. Et ce qui les relie est le rythme. La tension y est manifeste. Une prŽoccupation de langage qui ne travaille pas sur le mme plan.

 

LՎcriture mÕaura appris que de tous les revers de lÕexpression, le crŽateur peut garder la tte haute par le risque quÕil entreprend. Il est dans sa noblesse, dans sa disparition – en route vers son oubli. Par lՎcriture je me suis dŽsappris et jÕai laissŽ lÕimposteur au vestiaire, me donnant ˆ ce mŽtier, sans pour autant savoir ramer vers mon savoir.

 

Je poursuis cette attente.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Redevenu poisson

de la rivire souterraine

redevenu

sans langage nu

devant le monde

des recommencements

harassements

contre la libertŽ

la gravitŽ du corps

sa maudite pesanteur.

 

Que soit bŽni lÕexil

bŽnie la faim

dans le repli espŽrŽ.

 


 

Aucune parole nՎchappe au lieu. Tout mot sÕappuie sur un corps et sa racine. Le pote, de corps en corps, en dŽvoile les mŽtamorphoses.

 

Il sÕoblige ˆ bouger, ne serait-ce que pour habiter lÕespace qui lui est allouŽ.

 

Lorsque je reviens de voyage, un aller-retour MontrŽal-QuŽbec par exemple, je suis dŽsemparŽ. Rien ne peut plus sՎcrire, semble-t-il, que dans cet Žtat dÕabsence, en retrait, comme un repli qui nÕest ni dŽfaite ou nŽgativitŽ mais recueillement.

 

Quand je me dŽplace ainsi, jÕoublie quՎcrire sollicite compltement. Et si je mÕinstalle, je ne sais plus commencer. Tout semble vide, impossible ˆ Žcrire, alors que lՎcriture se joue prŽcisŽment sur cet impossible.

 

On se vide de soi pour emplir une histoire. Cette panique, jÕen fais le moteur pour avancer.

 

 

 

 

 

 

Quelque part il Žcrit

sur lÕabsence

le dŽsert

Į le cours tide

des jours Č

et dans ces ellipses

mon regard achevŽ.

 

Je suis aussi

ce personnage

qui recommence

en se morcelant.

Į Travailler

ˆ mon oubli Č, Žcrit-il.

 

Ainsi nous portons

 de nouveaux lieux

nous sommes infiniment.

Parfois

il ouvre ses bras

aux tilleuls qui lui rendent

leur amour.

 


 

Toucher ˆ cette voix blanche du vide, aux sensations les plus archa•ques et laisser les histoires se prendre dans lÕantichambre du nŽant.

 

Chaque jour est prŽtexte pour sÕenfoncer dans cette neige et dŽbusquer la voix qui sÕy terre. Ce pote ne sort pas de lui pour autant, il rve sa reptation, il fouille cet enfouissement. Nous sommes dŽmesurŽs.

 

Toute journŽe gagnŽe ˆ lՎcriture est un jour de plus pour la libertŽ.

 

 

 

Or il sait aussi

que sous la terre

grondent des eaux

libres. Rivires

dÕurgentes rveries.

Des passages mystres

rŽvŽlŽs

dans la mŽchancetŽ

blanche et

souterraine des eaux.

 

Les dimanches

leur fadeur

Žvanouie.

 


 

Quand il rentrait ˆ la nuit, il devenait tout autre. Il restait devant sa table sans dessiner, allait ˆ la fentre, revenait.

 

Il voulait se perdre dans le gŽnie dÕune phrase. Il nÕest de dŽtails qui lui Žchappait : une maison le soir ; des Īuvres miniaturisŽes de tous les sicles de la peinture, des peintres mŽconnus, secondaires. Il y a dans toute Īuvre mineure un point de gŽnie, pensait-il, un musŽe des miroirsÉ

 

Et que faire de tous ces silences qui tra”naient entre ses jambes; que faire du pianissimo de la pluie sur lÕeau du fleuve : que faire de lÕhorizon blanc sans limite?

 

Il est entrŽ dans le pays incertain. Avec la joie de crŽer. Un verbe nouveau : le plus-quÕincertain. Une phrase projetŽe dans son nŽant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quelle joie ?

Quelles traces ?

 

Au revers de cette solitude

un temps de verbe fort

lÕaplomb du jour

tombe

traant le futur

rabat les espŽrances

lÕenvie

partagŽe dans cette Žcriture

du rŽel

certitude envolŽe

avancer ˆ pas comptŽs.

 


 

En marge des choses.

 

Les mots existent comme des histoires autonomes. Comme les tres. Chacun avec sa vie de mot. Je les veux comme lÕamour ardent pour une femme. Amour, tout ce feu. Tant de possibles, de pensŽes, dÕimages. Et tout cela dont je rve : pomes, rŽcits, histoires.

 

JÕen rve : dՎcrire ˆ perte de mon corps, en un rŽcit errant sans fin, multiple, bigarrŽ qui Žchappe aux catŽgories, sans renoncer ni ˆ la forme ni au propos. Ils sont venus, je suis passŽ.

 

Ce mouvement plonge au cĪur du monde dans lÕautre monde, pour devenir une volontŽ incarnŽe. Il me tarde, ˆ toute heure, de passer entre eux et de me laisser dŽriver dans leur barque.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je ne veux plus lire

plus rien

plus Žcrire.

Plus rien.

 

Je veux descendre

la rivire folle.

Dans les neiges

et le froid.

CÕest un si vif dŽsir !

 


 

Faire silence ne met pas fin au bruit ni ˆ la fureur dÕune colre originelle qui donne ˆ lÕenfant un visage hideux.

 

Cet engagement exige tout dÕune vie. Quand la matire sÕenfuit et que le silence revient, Žpuisant le courage trouvŽ pour le reste du jour, lÕeffroi me gagne dՐtre ˆ nouveau devant mon nŽant. Mais ce nÕest encore que le silence qui mÕemplit de mots ˆ venir.

 

 

 

 

 

 

Je veux devenir

solitude de lÕarbre

et pensŽe.

Songer au feu

et au repas.

Regarder la neige.

MÕenfoncer dans lÕinexistence

plurielle.

 

 

 

 

 

 

 



[i] BŽlanger, Paul. Replis, chambre de lÕarpenteur. MontrŽal, ƒditions du Noro”t, 1992.

[ii] BŽlanger, Paul. Des amours. MontrŽal, ƒditions du Noro”t, 2015.

[iii] Extraits des Carnets 2010-2013.

 

 

 

Les Adrets : Arpentages 2, 2017