Depuis la nuit

 

 

Depuis la nuit jĠŽtreins un cÏur pareil aux verbes de poids lŽger. JĠobserve les soldats de lĠhorizon je gožte au sel des givres meurtris ˆ certaines ŽchappŽes de la douleur.

Elle est une amie qui repousse
quelque habitude triste contre mon sein. JĠarpente

cette guerre
en elle le vocabulaire de lĠarrachement sa connaissance
intime des disparitions.

 

 

Elle est un testament garant du quotidien aux petites joies du monde. Je lis le foisonnement des encres sans saisir les parfums les chants les idŽes promises par son ciel. Des perles noires tombŽes sur le plancher de bois

roulent dans le vacarme. Elle est la mort.
LĠinnocence sauve
peut-tre pure. Tu tends les bras
comme les arbres tendus

au-dessus du lac. Tu plonges
malgrŽ le danger de te noyer encore.

 

 

Les algues montent en moi au souvenir de sa douleur rŽel monde inventŽ le souvenir. Un homme marche et je lĠobserve cachŽe dans cette dŽraison o il ne me voit pas. Il marche ˆ grands pas sĠŽloigne de nous.

Ce film tourne en boucle dans mon esprit.
JĠŽtais une jeune fille

je ne rvais pas dĠamour mais de naufrages
et de navires puissants
moi clandestin sale et assoiffŽe
je vivais dans des cales au bois noir.

 

 

Depuis la nuit elle observe le renard la buse orangŽe du paysage absorbŽs dans leur possibilitŽ de contradictions simples fleurs carnivores comme autant de pistes. Un chant nocturne o nous nageons parfois

ronde coyotes gris filles grises.
Nos larges brasses en phrasŽs sur nos langues

lĠhiver amoureux loin de cette terre
jĠallonge encore le pas dans chaque histoire
o tu marches. Des images flottent
et chutent des pans ouverts de nos manteaux.

 

 

LĠexplosion la dŽsolation des objets fusent membres tournoyants branches dĠacier attachŽs les vtements les offrandes les petits enfants au rire aigu crient

hors des bornes de la voie.
CĠest possible tant de bržlantes joies.
Tant dĠespoir et je regarde

impossible encore ˆ Žmouvoir
les rideaux blancs de la fentre me protgent
incapable dans ce corps de saisir la colre.

 

 

LĠangoisse bricole ses prires lourdes huiles enfoncŽes dans la terre des guets le long de la mer une digue. Et dĠautres pays dĠune mme nuit sept fois tombŽs sept fois reconstruits. Une amie regarde une reproduction sŽpia

sa ville
ses doigts fiŽvreux caressent les toitures.
Les fleurs photographiŽes

au moment de lĠŽclosion
devant les puits les parfums la violence.
Tu es absente dans ce regard
tu ne peux pas exister.
Sa joie. La raretŽ.

 

 

Les yeux dŽcouvrent les mots et lĠ‰me au poing comme le cÏur du faucon envoutŽe par lĠespace de sens les trous de la mŽmoire noire. Tu te proposes en rŽserve de souffle contre son souffle inspirations saccadŽes lˆ o se dŽcupleraient dĠautres destins.

Un livre au quotidien du silence
une conscience prŽcise

sĠallonge le mutisme
un pome dans son propre saccage.
JĠaccŽlŽrais le pas et nous Žtions deux aux vues de tous
tremblantes son bras sous le mien
dans lĠoblique du monde charriŽ.

 

 

Mais tu ne crois pas au destin en rien dĠautre quĠaux jours alignŽs de trahisons tes doigts cherchent quelque anfractuositŽ pour glisser ta langue lŽcher le rŽel la forme de la nuit depuis la nuit venue

les chuchotements grattent ton oreille. Tu entends
et tu fermes les yeux le mur aveugle de tes yeux
au jour de tes frres

muets aussi emmurŽs comme elle
une forme muette une clef de fa entre ses mains.
Ils jouent. Ils jouent. Les enfants font semblant de jouer.

 

 

JĠentre sans voix dans la nuit du chagrin et dans sa cruautŽ ouverte je tournoie sans Žmotion ni surprise. Elle pleure et je ne peux plus rien contre ce chagrin. Il sĠenfuie et je ne fais plus rien pour le retenir. Je tournoie dans ma dŽroute sombre

la force des vents ainsi provoquŽs
me fait na”tre ˆ ce que je deviens
une arme
affžtŽe

un pas devant lĠautre
mme sans moi.

 

 

Plus tard entrer dans le renoncement. LĠhabitude enfin o je ne suis ni pays ni lune que tu regardes ni une sÏur dĠasile. Mon cÏur inutile ˆ servir et malingre

dans le refus de battre.
Des pistes sĠallongent o je fuis toujours

se couvrent dĠun givre.
Or jĠattends la nuit
o les flammes chantent la bouche
dans la bouche. LĠexpŽrience des visages.
La main de la mort endormie.

 

 

France Mongeau

Depuis la nuit. MontrŽal : Les ƒcrits no 149, 2017