Combien de mains as-tu tranches pour la seule purification
de ton me? Combien dÕhommes sont morts dans lÕchafaudage vaniteux de tes
sombres projets? Tu souffres aujourdÕhui au boisseau de ma colre et sache que
je ne dirai rien pour te sauver.
Je ne dirai rien de ta tendresse, ni de ta piti profonde et
si vraie devant lÕarbre ou le fruit. Je garderai pour moi ta gnrosit si
fine. Je ne dirai rien de cette loyaut franche que tu mÕas offerte toute mon
enfance. Je ne vanterai pas non plus ce talent sacr qui ouvrait pour nous les
passages troits, abattait sans bruit les murailles les plus hautes aux pierres
tailles par des gants et trouvait, chaque jour, le pain, le vin et le logis.
Rien de ta force et de ta volont magnifique devant lÕorage des hordes
ennemies. Je ne dirai rien qui pourrait empcher ce feu de te ronger les os et
je resterai jusquÕ tes cendres.
Je regarderai tes chairs fondre et coller au mtal
tincelant de ton armure rougie. Je regarderai tes yeux clater sous la chaleur
et jÕcouterai, jusquÕaux derniers, tes cris devenus plaintes et murmures et
gargouillements. JÕallumerai ce feu. JÕempcherai que des amis sÕapprochent
pour te dfendre. JÕempcherai quÕon fuie devant le spectacle de ta mort. Je
resterai jusquÕ poussire.
Au moment o ton souffle sÕlvera, nos voix sÕassembleront une
dernire fois. Nous louerons ta puissance et ta beaut, mon frre, mais je
cracherai devant eux sur tes machinations infernales si semblables au bonheur.
Sur tes ruses, ta superbe et tes envotements.
Je resterai. Et tu nÕchapperas pas aveugle ce sicle pour
la beaut duquel tu offrais tes armes. Chaque chteau que tu as assig au
pril de nos vies et chaque maison brle attendent ta fin. Tu les regarderas.
Tu garderas les yeux ouverts jusquÕau bout pour me voir et pour mÕentendre
rire. Car je rirai, mon ami, comme tu riais au jour de mon veil. Pure joie de
me voir advenir, enfin.
La splendeur immacule qui a fait de toi un prince
magnifique ne valait pas la libert des hommes. Cette libert humble mais si
forte quÕelle dpasse en violence et en gloire chacun de tes actes maudits.
JÕai vu quel dsordre tes victoires ont laiss derrire elles. La nudit des
enfants. Les vents amers entrant dans les maisons et assassinant les fils. Leur
fureur aujourdÕhui dcuple par ta mort nÕest rien devant cette colre opaque
et suzeraine qui sÕinstalle dans mes os. Tu paieras. Et ta mort nÕest
pas assez horrible pour compenser lÕhorreur des songes galvanisant les nuits
passes sans savoir avec qui tu dormais. Tu mourras.
Tu ne vois rien maintenant que le mtal incandescent qui
porte tes chairs assassines. Ta blancheur est sacre, mÕas-tu dj dit, ce feu
aussi, crois-moi. Tes longues jambes frissonnent aux prisons des mailles de ta
cuirasse; tes poumons maintenant inutiles sifflent avec les flammes au cĪur des
brasses de bois fous. Ton armure ne peut rien contre les lments. Au feu, au
vent et lÕeau que ton dieu nous envoie, jÕoffrirai tes cendres adores.
CÕest moi
seulement qui pourrai prier sur ta tombe. Et je pleurerai, mon frre, je
pleurerai sur cette amiti vritable, je pleurerai sur les restes de ce corps
tendrement aim. Jamais chagrin nÕaura t si profond. Et si bref.
Dans cette
errance nouvelle et dsormais mienne, jÕemporte tes armes prcieuses et le plus
bel alezan de ta dfunte maison.
France
Mongeau
Le feu, la cendre dans Į Moyen åge Č. Trois-Rivires :
Art Le Sabord no 70, 2004