Les oies de Riopelle

to Liz and John

 

 

1

lĠoiseau nĠa pas rejoint ses frres assemblŽs sur les terres voisines

le squelette ŽcartelŽ de ses ailes sĠest accrochŽ aux parois sches de la grotte o les ocres et les noirs minŽraux racontent lĠexaltation de pouvoir sĠarracher de cette gravitŽ terrestre maudite mal-aimŽe

gravitŽ du corps sans cesse rappelŽ par ses propres cendres peau terreuse muscles-rivires gestes amoureux de la rondeur du jour

 

 

2

lĠoiseau respire encore malgrŽ son immobilitŽ dĠargile de poussire et de roc

le souffle de la pierre ranimŽ par les flammes dessine lĠarmature fragile et sŽculaire de la premire chair vivante

le rŽseau des veines est encore visible et dicte dans son impŽtuositŽ millŽnaire le premier envol conservŽ pour notre mŽmoire

le premier envol conservŽ au creux des grottes par les premiers dessins

 

 

3

ici lĠempreinte nĠest plus de poudre dĠos mais dĠacrylique

et les traces des mains en aplat sur les parois fra”ches de lĠatelier marquent lĠŽternelle dŽroute fiŽvreuse du corps

le corps grave mais aimant de lĠhomme inclinŽ au-dessus de son travail

son chagrin pur Žclabousse les figures primitives des cercles et des chasses aux grands oiseaux des marais

 

 

4

la sensualitŽ des paumes Žpouse la libertŽ du vivant dans un assemblage fou de couleurs de ferrailles et de filets

les armes blanches et nocturnes protgent les souffles meurtris Žtranges sonars du fond des eaux o fraient les premiers atomes

lĠaigle blanc du nord rapace incendiŽ par les doigts de lĠartiste est un mage espion diseur de bonne aventure

 

 

5

les kilomtres de route sĠallongent en cascades dĠarbres et de prairies jaunes de froid et les oiseaux infatigables fuient

les oiseaux bernaches et malards fuient en scandant leurs cris rappels incessants du parcours ˆ suivre

imprimŽ dans lĠÏil et la nervure de leurs ailes le tracŽ aveugle du nord vers le sud celui-lˆ mme gravŽ sur les parois fra”ches des grottes

gravŽ dans lĠossature du corps le vivant des terres ˆ survoler pour atteindre les grands marais

 

 

6

lĠor et lĠargent des outils jetŽs sur le sol scintillent dans lĠatelier

dans ce fouillis de papier et de pierres sablŽes passent le rire les robes fra”ches et les gestes de la main amoureuse

signaux visibles du ciel pour lĠoiseau et ses frres qui telles des fleurs migrantes retournent dans la neige des Nords

la poudre blanche crachŽe sur la main pour en tracer le contour marque passage repos le travail arrachŽ du sol quelques secondes

le travail oublieux de sa propre gravitŽ levŽ contre la dŽtresse du monde sĠimaginant volcan

 

 

France Mongeau

Les oies de Riopelle dans Ç Le choc de lĠart È. MontrŽal : Arcade no 59, 2003