Plongeon

 

 

au premier signal tu plonges ton souffle retenu dŽcuple tes forces p‰les dans ce dŽsir cette course violente et attendue les vagues au diamant de ton corps devenu couteau tu ajustes ton rythme aux battements de lĠeau lĠintimitŽ du lac se resserre lourde dĠabord autour de toi enfin morsure puis coups dĠŽpŽe tu nages

la puissance de tes Žpaules devient arrachement et la force de tes cuisses un dŽfi au soleil dans la nuit interminable de ta parole

cette eau lourde dĠhuile forte de froid lourds vos corps c™te ˆ c™te Žmus par cette promiscuitŽ chaque main portŽe au-devant construit ta rŽvolte ou une conversation cette eau vos bras aimantŽs ˆ lĠivresse du nord au dŽsastre des fruits des berceaux qui sĠagrippent ˆ vos jambes ballantes

vous tes nus et le lac vous ensorcelle mais ce nĠest pas caresse ni or massif le rythme de la course te protge les profondeurs sonores o se cache le monstre ne te font plus peur la traversŽe tĠexalte te prie tu pries sept fois sept prires identiques devenues sept chants et tu jures ˆ chaque effort de ta brasse puissante en mordant les vagues impossibles qui te tiennent

sous tes Žpaules tes poumons roulent ta voix muette lance au fond de lĠeau ses ondes graves

vous nagez

au creux des reins ton corps nĠa plus de faim de sang de chair il est ŽlŽment cette eau huileuse te garde tel un beau navire ton corps ŽpuisŽ au centime tour ŽpuisŽ et devenu poisson dans ta dŽmesure poisson ou algue nŽnuphar tortue Ïuf de limon et serpent des berges plates

ivre ton corps dans la course multiple spongieux ton corps affamŽ accompagnant le corps des autres pesant sur le tien au creux de tes reins leurs muscles chauds deviennent liquide bržlant forage intraitable entre tes bras

tu nĠimplores pas encore le dieu des gouffres ce fou ni celui des Žtoiles pour te venir en aide tu nages et ton souffle au brisant du lac mime rauque appel trouble un tout autre dŽsir dans la lenteur des ors cassŽs de ce silence le lac abandonnŽ

lĠivresse amante ses seins p‰les sa nuque tes lvres au sel des os cet hymne ˆ la profondeur un plongeon un mŽmorial au souffle parfait accompagnant chacune des franches battues de tes Žpaules ouvertes ton dos muet tu nages

 

puis le souvenir de ton amour remonte du fond du lac une remontŽe folle et vive impŽrieuse et claire nŽcessaire le cou tendu le cou tordu tu nages vers cet autre gouffre lumineux au-dessus de toi le rejoindre en surface lˆ o il vit le rejoindre lˆ dans les poings fermŽs du souvenir

 

 

France Mongeau

Plongeon dans Ç Ivresse È.

Grenoble : Bacchanales no 36, 2005